Les lacs de montagne sont-ils aussi purs qu'ils en ont l'air ?

Lac de Bellecombe

Un lac est-il pur s'il est transparent ?

La transparence des lacs est liée à la quantité de matières en suspension, que ce soit des organismes vivants comme le plancton, des particules minérales (calcite, argiles, etc.) ou des débris de substances végétale ou animales. L’expression « eau pure » peut mener à différentes interprétations. La « pureté » de l’eau sera traitée ici comme l’absence de polluants. La majorité d’entre eux sont dissous dans l’eau des lacs et donc invisibles à l'œil nu. La transparence de l’eau d’un lac de montagne n’est donc pas l’unique critère de « pureté » du lac.

L’azote et le phosphore : des nutriments ou des polluants ?

Les deux !
L’azote et le phosphore sont des éléments indispensables à la vie aquatique (voir question 8). Sans nitrate (N) ou phosphate (P), la croissance végétale est impossible.
Cependant si les concentrations dans l’eau sont trop élevées, ces nutriments engendrent un enrichissement du lac et donc une surproduction de biomasse. Il y a alors un risque d’eutrophisation conduisant à terme à « l'asphyxie » des eaux du lac (voir question 3).

Les apports naturels d’azote et de phosphore sont issus de la décomposition de la matière organique dans le bassin versant. Des activités humaines sont aussi sources d’azote et de phosphore comme le rejet d’eaux usées mal épurée (fosse septique dysfonctionnelle par exemple) ou une surexploitation pastorale (les déjections des ovins et bovins apportent des quantités importantes de N et P).

Ces pollutions sont essentielles à surveiller pour assurer un bon état du lac.

 

Une autre source d’apport d’azote : la voie atmosphérique

L’azote est un intrant agricole ajouté dans les champs cultivés pour favoriser les cultures.
Les analyses atmosphériques montrent que de l’azote est transporté par l’atmosphère. Il s’agit de particules très fines de nitrate ou de sulfate d’ammonium créées par réaction dans l’atmosphère avec l’ammoniac émis par l’agriculture intensive.
Les études scientifiques 1 & 2 montrent que ces particules peuvent être transportées sur des centaines de kilomètres de leur lieux d’émission et engendrent des enrichissements de zones très reculées comme en haute montagne.   

Pollution atmosphérique : De l’atmosphère au lac d’altitude

Certaines molécules industrielles ou générées par des processus liés aux sociétés humaines (chauffage, transport, …) sont suffisamment volatiles et persistantes pour être transportées par voie atmosphérique.

Elles se déposent sur la végétation, les sols ou l’eau sous forme de dépôts secs (c’est à dire de poussières atmosphériques ayant adsorbées ces polluants) quand il y a peu de vent ou sous forme de dépôts humides lors des précipitations. En effet, en montagne il y a, de manière générale, plus de précipitation qu’en plaine : la baisse de température de l’air provoque de la condensation et donc le dépôt des polluants atmosphériques. De plus, la neige, du fait de sa forme de flocon, est plus à même de ramener des particules atmosphériques sur le sol, notamment les polluants gazeux.

La contamination des lacs d’altitude se produit par lessivage des sols du bassin versant, fonte de la neige ou par dépôt atmosphérique direct à la surface de l’eau.

Vue sur la vallée de l’Arve

Pourquoi parle-t-on de lacs « sentinelles » ?

Éloignés des sources de pollution, ces lacs de montagne sont des écosystèmes préservés mais fragiles et vulnérables aux activités humaines et aux changements globaux.

Ils constituent des “collecteurs” des retombées atmosphériques sur leur surface et celle de leur bassin versant.

Une modification des apports, par variation des émissions en raison de l’activité humaine ou du climat, pourra entraîner des changements perceptibles des teneurs dans l’eau ou le sédiment, ainsi que des modifications de fonctionnement de l’écosystème lacustre.

Ces lacs sont donc de véritables “sentinelles” du changement de notre environnement.

Lac du Mont-Coua

Les polluants véhiculés par l’atmosphère

 

  • Le soufre : risque d’acidification de l’eau des lacs ?

Après une augmentation constante des émissions de soufre (SO2) depuis le début du XXème siècle en raison de l’utilisation des énergies fossiles (pétrole et charbon), la prise de conscience des effets négatifs de la pollution de l'air sur l'environnement et la santé humaine a donné lieu à une législation internationale et nationale conduisant à la désulfuration des combustibles. Les émissions européennes de SO2 ont ainsi été réduites de 70 à 80 % depuis 1990.
Les retombées d’acides sulfurique sont formées par réaction photochimique du SO2 dans l’atmosphère. Limitées sur les Alpes du Nord en raison de leur neutralisation partielle par les carbonates apportés par des vents Sahariens, ces retombées sont maintenant une menace passée pour les écosystèmes aquatiques d’altitude.

  • Les Métaux : des toxiques à faible dose ?

Certains métaux (aluminium, fer, titane et manganèse) présents dans les lacs sont issus d’érosion des roches et déposés notamment avec les poussières atmosphériques. D’autres métaux et métalloïdes à l’état de trace proviennent de sources naturelles et anthropiques.
Les éléments traces métalliques (ETM) peuvent être globalement classés par leur abondance dans les lacs d’altitude avec l’ordre suivant : Aluminium, Fer > Zinc > Manganèse, Titane > Plomb, Cuivre >Nickel > Cadmium, Arsenic.

Les dépôts atmosphériques sur les chaînes de montagnes européennes suivent une tendance générale à la baisse depuis les années 1990. En effet, les industries qui produisaient ces polluants ont, pour la plupart, étaient délocalisées dans d’autres régions du monde (en Asie notamment) ou leurs rejets sont beaucoup plus filtrés. Un autre exemple est l’essence plombée qui n’est plus utilisé en tant que carburant.  
Les teneurs dans le sédiment (voir question 6) des lacs permettent de reconstruire l’histoire des apports.  Pour le plomb, certains travaux scientifiques3 tendent à prouver que l’activité minière et l’usage de ce métal à l’époque romaine engendraient une contamination plus importante des lacs d’altitude alpins que l’utilisation de ce métal dans les carburants automobiles à la fin du XXème siècle.

La pollution au métaux est donc visible dans les sédiments des lacs d’altitude mais plus dans l’atmosphère.

  • Les Polluants organiques persistants

Les polluants organiques les plus toxiques sont dénommées POP, pour « polluants organiques persistants ». Rejetés dans l’atmosphère depuis les zones urbanisées ou industrialisées, ils sont transportés à plus ou moins longue distance, selon les circulations des masses d’air et l’intensité des vents.
Les molécules les plus émises dans l’air et qu’on retrouve le plus souvent dans les écosystèmes de montagne sont les HAP et les PCB.

- Les PCB :

Origine : Molécules de synthèse industrielle très utilisées jusqu’à la fin des années 1980, les polychlorobiphényles représentent une famille de composés chimiques omniprésents dans l’environnement terrestre en quantité faible, mais avec une toxicité élevée pour tous les organismes vivants. En France, depuis 1987, la production et l’utilisation des PCB sont interdites. Les concentrations ont diminué dans l’environnement grâce à ces mesures.

Aujourd'hui : Stables chimiquement et peu biodégradables, les PCB ont été transportés par voie atmosphérique jusqu’aux lacs de haute montagne (ou aux régions polaires) au sein desquels ils sont encore présents. Leurs concentrations sont les plus fortes dans les sédiments où ils s’accumulent compte-tenu de leur caractère hydrophobe.

Bioaccumulation : Ces polluants sont aussi présents à l’état dissous dans l’eau à très faible concentration, où ils sont alors bioaccumulés par les organismes aquatiques, comme les poissons. Les teneurs dans la chair musculaire des poissons des lacs de la Muzelle ou de Plan Vianney (Ecrins) sont comprises entre 5 et 20 ng/g 4 (très inférieures à la norme européenne sanitaire : 125 ng/g).

 

-    LES HAP :

Origine :  Les hydrocarbures aromatiques polycycliques sont des molécules organiques toxiques pour les organismes vivants, rejetés dans l’environnement principalement lors de la combustion incomplète d’énergies fossiles (charbon, fioul, gasoil et essence) ou de biomasse (bois et végétaux). A l’échelle mondiale, le pic d’émission de HAP dans l’environnement est concomitant au développement industriel et à l’utilisation massive du charbon et du pétrole.

En France, avec la mise en place d’une réglementation sur les émissions atmosphériques et le passage à d’autres sources d’énergie, les émissions de HAP ont nettement diminué (de plus de moitié) depuis les années 1960. Dans les sédiments des lacs européens, une augmentation de leur concentration est enregistrée des années 1880 à 1960, suivie d’une lente diminution, en lien avec la réduction de leurs émissions dans l’atmosphère.

Aujourd'hui :  Actuellement, les sédiments des lacs d’altitude des Pyrénées et des Alpes présentent des concentrations allant de 100 à 1000 ng/g 5. Ce sont donc des valeurs beaucoup plus fortes que pour les PCB ; toutefois leur bioaccumulation dans les organismes aquatiques et leur toxicité sont beaucoup plus faibles.

Vue depuis le col d'Anterne

Les polluants organiques au lac de la Muzelle

Les transferts de HAP et PCB à l’interface air-eau ont été étudiés au lac de la Muzelle (situé à 2105 m d’altitude dans le Parc National de Ecrins) durant les étés 2014 et 2015.
Des comportements différents ont été observés entre ces deux familles de contaminants, en lien avec leurs propriétés physico-chimiques. Les HAP et PCB sont essentiellement sous forme gazeuse dans l’air de ce site d’altitude : les retombées atmosphériques humides semblent être la principale voie d’apport de POP au lac.
-    Durant l’été, la quantité de HAP volatilisés à partir de la surface du lac est supérieure à la quantité déposée depuis l’atmosphère (d’autant plus que l’été est chaud). Les HAP provenant des sédiments du lac.
-    En revanche le flux de PCB déposés sur la surface du lac est plus élevé que le flux volatilisé.

En ne considérant que les échanges à l’interface air/eau du lac, le lac de la Muzelle se comporte comme une source de HAP (historiquement stockés dans le sédiment) pour l’atmosphère et comme un puits de PCB 6.

Le lac de la Muzelle

Retrouve-t-on du plastique dans les lacs de montagne ?

Des déchets peuvent être laissés aux abords des lacs de montagne du fait de leur fréquentation, lors de pique-niques par exemple et polluer les abords des lacs. Cependant, la plupart du plastique présent dans ces lacs est apporté par les masses d’air sous forme de microplastiques, des fibres et particules de dimensions voisines du micromètre.

Très légères, ces particules de plastique peuvent voyager jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres de leurs lieux d’émission ! Elles sont déposées sur les sols du bassin versant ou directement sur la surface du lac lors des précipitations (neigeuse ou pluviale) qui « nettoient » l’atmosphère, ou lorsque les vitesses de vent sont suffisamment faibles pour permettre leur dépôt.

Ces microplastiques peuvent « concentrer » à leur surface (par adsorption) des polluants chimiques présents dans l’air ou dans l’eau, et contiennent également des additifs dont certains sont toxiques et peuvent être relargués dans l’eau.  Les connaissances sont encore lacunaires mais ces microplastiques pourraient représenter une menace pour les organismes vivants dans les lacs.

A la recherche du plastique dans les lacs d’altitude

Le projet Plastilac, porté par l’Université Savoie Mont-Blanc et AQUALTI étudie la quantité de microplastiques présents dans les lacs d’altitude et leur origine. L’eau du lac est filtrée et des sédiments sont prélevés.

De retour au laboratoire, ces prélèvements sont passés au peigne fin pour repérer les fibres de plastique.

Dans les 9 lacs d’altitude étudiés, des microplastiques ont été retrouvés. La majorité sont des fibres de polyéthylène, de polypropylène ou d’acrylique qu’on retrouve dans les vêtements synthétiques (polaire, tee-shirt thermique…).

Pour plus d’infos : https://www.aqualti.org/plastilac/

Campagne PlastiLac au lac du Lauzanier

Peut-on boire l’eau des lacs de montagne ?

Dans la plupart des cas, l’eau des lacs d’altitude possède une physico-chimie compatible avec la consommation humaine : elle est en effet préservée des pollutions et les concentrations des toxiques sont extrêmes faibles (peu de risques surtout dans le cas d’une consommation occasionnelle).
Cependant, elle n’est pas traitée comme l’eau potable ! En effet, l’eau potable doit répondre à des exigences chimiques et bactériologiques. L’eau des lacs peut contenir des microorganismes (bactéries, virus, parasites) dont certains sont pathogènes (comme la bactérie E. Coli présente dans les déjections des mammifères et des oiseaux).

La présence d’animaux sauvages, d’élevage ou de rejets d’eaux usées de chalet d’alpage peut entraîner une contamination microbienne de l’eau des torrents ou des lacs et la rendre impropre à la consommation humaine.

En Savoir plus

(1)    E. J. Hundey, S. D. Russell, F. J. Longstaffe, et K. A. Moser, « Agriculture causes nitrate fertilization of remote alpine lakes », Nat Commun, vol. 7, no 1, p. 10571, 2016, doi: 10.1038/ncomms10571

(2)    K. A. Moser et al., « Mountain lakes: Eyes on global environmental change », Global and Planetary Change, vol. 178, p. 77 95, juill. 2019, doi: 10.1016/j.gloplacha.2019.04.001.

(3)    F. Arnaud, J. Serralongue, T. Winiarski, M. Desmet, et M. Paterne, « Pollution au plomb dans la Savoie antique (II–IIIe s. apr. J.-C.) en relation avec une installation métallurgique de la cité de Vienne », Comptes Rendus Geoscience, vol. 338, no 4, p. 244 252, mars 2006, doi: 10.1016/j.crte.2005.11.008.

(4)    Y.-M. Nellier, E. Naffrechoux, et M.-E. Perga, « Distribution des PCB dans les lacs d’altitude : influence de la matière organique particulaire », 2014.

(5)    G. Carrera, P. Fernández, R. M. Vilanova, et J. O. Grimalt, « Persistent organic pollutants in snow from European high mountain areas », Atmospheric Environment, vol. 35, no 2, p. 245 254, janv. 2001, doi: 10.1016/S1352-2310(00)00201-6.

(6)    J. Marçais, « Transferts des polluants organiques persistants de l’atmosphère aux milieux aquatiques de montagne », These de doctorat, Université Grenoble Alpes (ComUE), 2017. https://www.theses.fr/2017GREAA005

 

Fiche 17 : Les lacs de montagne sont-ils aussi purs qu’ils en ont l’air ?