Que nous apprennent les lacs de montagne sur le passé ?

Les sédiments des lacs sont de véritables archives naturelles. Ils piègent au cours du temps des particules produites dans le bassin versant, dans le lac ou voyageant dans l’atmosphère. En étudiant les sédiments, les scientifiques peuvent retracer les conditions environnementales passées et mieux appréhender les changements du climat, l’évolution des écosystèmes et les impacts des activités humaines.

Qu’est-ce que la paléolimnologie ?

Il s’agit d’une discipline scientifique qui étudie l’évolution et le fonctionnement passé (“paléo”) des lacs (“limnologie”). Le bassin versant et l’atmosphère évoluent au cours du temps ce qui modifie l’état du lac. Celui-ci accumule ainsi des indices sur le passé dans ses sédiments.

Pour retracer et comprendre ces évolutions, les scientifiques prélèvent des carottes de sédiments au fond du lac (comme pour les carottes de glace). De retour au laboratoire, l’étape clé de l’étude est la datation des sédiments, comme par exemple celle de la mesure du Carbone 14 contenu dans des restes d’organismes vivants. Ces mesures sont réalisées à différentes profondeurs dans la carotte et seront utilisées pour établir ce que l’on appelle un « modèle âge-profondeur ». Ce modèle permet ensuite de proposer un âge quel que soit la profondeur du prélèvement.

Mission au lac de Pormenaz en 2022 par le laboratoire Edytem
Carottage au lac de Pormenaz en 2022
Analyse d’une carotte de sédiments lacustres

Sur chaque période, différentes études peuvent être menées selon l’objectif de l’étude: analyses chimiques, identification de restes fossiles d’organisme vivant, comme les pollens, les coquilles de diatomées (algues microscopiques) ou d’invertébrés, recherche de polluants...
Toutes ces informations mises en relation les unes avec les autres permettent de mieux comprendre les changements globaux de l’environnement dans les systèmes de montagne, mais aussi à l’échelle planétaire.

Le saviez-vous ?

Les pollens se préservent très bien dans les sédiments lacustres ou les tourbières et sont différents selon les familles de plantes. La palynologie est la discipline qui consiste à identifier ces pollens fossiles et à interpréter les variations de la pluie de pollen enregistrée afin de reconstituer non seulement les paysages du passé et les activités agro-pastorales mais aussi les conditions climatiques de l’époque.

 

 

 

 

L’étude des sédiments : retour...vers le futur !

Grâce à la paléolimnologie, on peut donc analyser les réactions des écosystèmes lacustres à des changements du climat, des activités humaines ou de composition de l’atmosphère qui ont eu lieu il y a plusieurs milliers d’années. Ces changements ont pu être rapides ou bien s’établir sur le temps long, allant bien au-delà d’une vie humaine et donc quasiment imperceptibles. Seules les études paléoenvironnementales permettent de capter et de comprendre ces changements.

Les changements rapides du passé, appelés parfois « crises », sont également utilisés afin de mieux appréhender les changements globaux auxquels notre société doit faire face aujourd’hui. Ainsi, on peut essayer d’anticiper les conséquences des changements actuels sur les lacs.

Les lacs de montagne sont éloignés des zones de fortes activités humaines. Cependant, ils ne sont pas totalement exempt d’impacts anthropiques. En effet, dans les Alpes les activités pastorales se sont développées depuis plusieurs millénaires et se sont souvent intensifiées au cours du Moyen-Âge.

La montagne est également un environnement riche en minerai (plomb, fer, cuivre, argent…) ce qui a entraîné des exploitations depuis parfois plusieurs millénaires et des rejets dans les environnements terrestres et aquatiques. Plus récemment, les lacs de montagne naturellement dépourvus de poissons font l’objet d’empoissonnement pour les activités de pêche (voir question 9).

Toutes ces activités ont entraîné des modifications des écosystèmes alpins. En fonction de la possibilité de développement de ces activités et des contextes socio-économiques, certains lacs sont plus impactés que d’autres. Par exemple, les lacs de très haute altitude, où la végétation peine à se développer, ont été peu impactés par les activités pastorales. Ces systèmes sont privilégiés par les chercheurs pour étudier les changements climatiques ou les pollutions à l’échelle globale.

Lac d’Anterne (Haut-Giffre)
Carottage au lac d’Anterne (Haut-Giffre)

Le lac d’Anterne (Haut-Giffre) : des vaches pâturaient au bord du lac il y a plus de 3 000 ans !

Une étude paléoenvironnementale1 a été menée sur les sédiments du lac d’Anterne : plusieurs carottes ont été prélevées et ont permis de retracer plus de 10000 ans d’histoire du lac et de son bassin versant. La description des sédiments, basée sur la couleur, la texture, puis des analyses de la taille des grains et de la composition chimique des sédiments ont permis de reconstituer la mise en place des sols après le retrait des glaciers, il y a plus de 10 000 ans. Les scientifiques ont pu étudier toutes les étapes : la stabilisation des sols suite au retrait glaciaire, puis leurs érosions jusqu’à se retrouver au fond du lac.

L’analyse de l’ADN ancien des troupeaux pâturant depuis au moins 3 400 ans au bord du lac a permis de démontrer que ces activités ont fortement contribué à la dégradation des sols et à leur érosion. A l’époque Romaine, les activités pastorales se sont intensifiées. Les troupeaux étaient alors composés de bovins et d’ovins. Des campagnes de fouilles archéologiques ont attesté la présence de l’homme au bord du lac (des restes d’une cabane contenant des ossements d’ovins et des morceaux de céramiques ont été trouvés). Les activités diminuent ou disparaissent peu après le 1er siècle après JC, et se développent à nouveau un peu moins d’un millénaire plus tard, pendant le Moyen-Âge.

Ces reconstitutions de l’activité pastorale autour du lac d’Anterne sur les six derniers millénaires effectués grâces aux sédiments, ont montré que le pastoralisme passé était hautement responsable de l’érosion sur le bassin versant, du fait de la déforestation pour la création d’alpages et du piétinement des bêtes.

Troupeau d’ovins au bord du Rif Tort

Lac du Lauzanier (Mercantour) : une Histoire à rebondissements !

L’étude menée par des équipes de l’université Savoie Mont Blanc2 a permis de tracer l’histoire de l’état écologique du lac, de l’érosion et des activités pastorales dans le bassin versant depuis 2 000 ans. Ici ce n’est pas l’ADN qui a été utilisé pour retracer l’histoire pastorale mais l’identification des spores de champignons coprophiles se développant sur les déjections solides des herbivores tels que les bovins et ovins. Les analyses de la composition chimiques ont quant à elles permis de reconstituer la dynamique de l’érosion et l’état écologique du lac. Comme au lac d’Anterne, les résultats montrent une forte pression pastorale au Moyen-Âge à partir du 10ème siècle après J.C.

Lac du Lauzanier (Mercantour)

A partir du Petit Age Glaciaire débutant autour du 14ème siècle, l’augmentation des précipitations a entraîné une forte augmentation de l’érosion des sols et en même temps a accentué le transfert de nutriments provenant des déjections des troupeaux. Ceci a eu pour conséquence d’augmenter la productivité du lac (enrichissement en nutriments), l’état du lac a donc été modifié du fait des conditions naturelles mais aussi par les activités humaines locales.

A partir du 19ème siècle, une nouvelle source de nutriments est enregistrée. Il s’agit d’apport d’azote atmosphérique. A partir des années 1950, cette nouvelle source devient la principale cause de l’augmentation de la productivité lacustre et par effet cascade de la dégradation des conditions d’oxygénation au fond du lac (voir question 3). De nouvelles espèces adaptées à ces conditions plus riches en azote apparaissent dans le lac, comme par exemple des espèces de chironomes ou de planctons.

Autour du 20ème siècle, le pastoralisme diminue au bord du lac.

Aujourd’hui, la dégradation de l’état écologique du lac n’est plus due seulement à la combinaison des conditions climatiques naturelles et d’une activité humaine locale mais à des pressions anthropiques d’origine globale : la pollution atmosphérique.

Pour en savoir plus

(1)  C. Giguet-Covex et al., « Long livestock farming history and human landscape shaping revealed by lake sediment DNA », Nat Commun, vol. 5, no 1, p. 3211, févr. 2014, doi: 10.1038/ncomms4211.

(2)  C. Giguet-Covex, « Histoire du Lac du Lauzanier et de son bassin versant depuis 2000 ans - Présentation lors des Rencontres Lacs Sentinelles 2017 » , EDYTEM / Université de Savoie Mont Blanc, 2017.

(3)  K. A. Moser et al., « Mountain lakes: Eyes on global environmental change », Global and Planetary Change, vol. 178, p. 77‑95, juill. 2019, doi: 10.1016/j.gloplacha.2019.04.001.

Fiche 6 : Que nous apprennent les lacs de montagne sur le passé ?